Le bobard à 2 milliards de dollars
S02E04 - Comment faire perdre beaucoup d'argent à un méchant industriel en quelques minutes
Salut à tous,
Peut-on sauver la planète avec des canulars bien ficelés ? Non, mais 2 types ont passé 15 ans à essayer.
Leur histoire est passionnante : je me donne 5 minutes pour vous la raconter.
Comme pas mal de sujets, les enjeux climatiques et sociaux souffrent d’une overdose d’informations.
On nous bombarde de messages, de chiffres et d’alertes rouges sans qu’à la fin, cela semble vraiment changer grand-chose.
Alors si vous aussi, vous cherchez à raconter des histoires qui font avancer le Schmilblik, vous vous demandez peut-être comment mieux capter l’attention de votre audience.
Cette semaine, je vous parle des Yes Men, deux types qui montrent de manière exemplaire comment une bonne blague peut devenir un outil puissant au service de l’écologie et de la justice sociale.
J’espère que ça vous donnera des idées.
Bonne lecture !
Merci à La Virgule, sponsor de cette édition
Dans mon garage, le matos outdoor s’accumule. Duvets, tentes, voiles, ailes, fringues… Une bonne partie de cet équipement n’est même plus en état d’être utilisé. Je continue de garder tout ce bazar au chaud, alors qu’il pourrait servir à fabriquer de magnifiques sacs La Virgule !
Cette équipe d’upcyclers fous récupère des toiles de Zodiac, des polaires, des montgolfières, des polaires, des ailes de kitesurf… pour les transformer en sacoches de bikepacking, en bananes ou en sacs de voyage.
Encore plus beaux et plus solides que les produits grâce auxquels ils sont nés, leurs produits surcyclés sont vraiment surstylés.
🍎 Au menu cette semaine
Le bobard à 2 milliards
Comment saboter avec style
Le pipeline du XVIème arrondissement
Le bobard à 2 milliards
Le 2 décembre 1984, à Bhopal en Inde, une explosion suivie d’une fuite de gaz toxique survenait dans une usine gérée par une filiale de l’entreprise Dow Chemical. La catastrophe industrielle, l’une des pires de l’histoire, faisait plus de 20 000 morts et affectait la santé de 300 000 personnes.
20 ans plus tard, la chaîne BBC World invite un porte-parole de Dow Chemical à parler des conséquences du drame… Et l’interview ne se passe pas du tout comme prévu.
L’homme, qui dit s’appeler Jude Finisterra, annonce en direct que son entreprise a décidé de vendre sa filiale propriétaire de l’usine et d'utiliser les 12 milliards de dollars obtenus pour fournir des soins médicaux aux victimes, nettoyer le site et financer des recherches sur les dangers des autres produits de la compagnie.
L’interview fait le tour du monde. En 23 minutes, Dow perd 2 milliards de dollars en bourse. L’info est en boucle sur toutes les télés pendant 2 heures, avant d’être officiellement démentie par un communiqué de presse… Ce qui, conformément au fameux effet Streisand, provoque un nouvel emballement médiatique.
Alors, qui était ce mystérieux porte-parole de Dow ?
C’était le génial Andy Bichlbaum, membre des Yes Men, un duo d’artivistes (artistes + activistes) américains. Connus pour leurs impostures qui dénoncent les dérives du capitalisme, les deux zouaves sont des génies du canular politique.
Depuis les années 90, ils n’arrêtent pas : ils ont organisé de fausses conférences de presse pour annoncer la fin de l’exploitation du pétrole, ils ont proposé à des industriels une solution pour réduire en esclavage les salariés de leurs usines, ils ont menacé des politiques français de suspendre les investissements américains si le pacte écologique de Nicolas Hulot était adopté etc.
Leur objectif ? Exposer l’indifférence des grandes entreprises et des gouvernements face aux conséquences écologiques et sociales de leurs actions.
Est-ce que ça marche ? En partie.
Dans l’affaire de Dow Chemicals, les Yes Men n’ont pas réussi à obtenir des compensations réelles pour les victimes mais ils ont atteint des objectifs clés :
Attirer l’attention médiatique : la fausse interview a permis de rappeler la catastrophe de Bophal et la responsabilité de Dow.
Mettre en lumière l’indifférence de l’entreprise : Dow a confirmé après le canular son refus de prendre en charge les victimes.
Mettre en évidence son pouvoir de désinformation : l’action des Yes Men a montré que l’entreprise avait largement utilisé son pouvoir pour minimiser les impacts négatifs de son activité.
Bref, vive les Yes Men et vive l’artivisme !
Je vous recommande chaudement leur dernier film, Les Yes Men se révoltent ; il n’est pas disponible en ligne mais je l’ai trouvé en DVD à la médiathèque près de chez moi.
Petite interruption de programme
Les marques ont un rôle clé à jouer aujourd’hui dans les récits qui façonnent demain. Vous souhaitez que la vôtre contribue à bâtir un futur positif, ambitieux et réalisable ? Vous pensez avoir besoin de renfort sur le sujet ?
Prenons 30 minutes pour faire connaissance et en parler !
Comment saboter avec style
Revenons à nos moutons.
Qu’est-ce que les Yes Men ont à nous apprendre, nous qui cherchons à raconter des histoires qui feront un jour triompher l’écologie et la justice sociale ?
Je retiens deux pratiques qui me semblent particulièrement efficaces.
1. Utiliser la satire pour révéler l’absurde - En utilisant l’humour et l'exagération, les Yes Men montrent les contradictions flagrantes des personnes et des organisations qu’ils ciblent.
Lorsqu’ils se font passer pour ExxonMobil pour présenter "Vivoleum", un nouveau biocarburant fabriqué à partir des corps des victimes du changement climatique (!!!), ils exposent la manière dont la quête de profit pousse certaines entreprises à dépasser toutes les limites morales et éthiques.
La présentation de Vivoleum lors de la plus grande conférence canadienne sur le pétrole, choquante et grotesque, provoque une réaction immédiate de rejet et d’indignation chez les participants. Ça les force à reconsidérer leur propre passivité face à certaines pratiques absurdes des entreprises du secteur.
Mais surtout, ça attire l’attention des médias et ça force l’entreprise à réagir. Ça ouvre le débat sur l’impact environnemental et social des géants pétroliers.
Même logique lorsque les Yes Men réalisent une publicité pour la "SurvivaBall", une boule de survie pour protéger les riches contre les catastrophes climatiques :
Ils exposent les inégalités face aux crises climatiques.
Ils dénoncent un état d’esprit centrée sur la préservation des privilèges individuels au détriment des solutions collectives.
Ils ridiculisent la foi aveugle en la technologie pour résoudre des crises systémiques.
Le tout, en faisant rire et en incitant à réfléchir.
2. Projeter dans un futur idéal - En 2008, Andy et Mike ont distribué 100 000 exemplaires d’un faux numéro du New York Times annonçant une flopée de bonnes nouvelles : la fin de la guerre en Irak, la création de pistes cyclables à New York ou encore la nationalisation du pétrole pour lutter contre le changement climatique etc.
Leur idée : montrer à quoi ressemblerait un monde où les autorités oseraient prendre des décisions courageuses. Le contraste entre ces annonces et la réalité a forcé les millions de personnes qui ont entendu parler de ce canular à imaginer une société plus pacifique et écologique. Et l’imagination, c’est le moteur de l’action !
Dans la même logique, les Yes Men ont également :
annoncé en 2002 la dissolution de l’Organisation Mondiale du Commerce pour laisser place à une nouvelle institution dédiée à protéger les citoyens des abus des entreprises ;
proclamé en 2005 la réouverture de tous les logements sociaux aux Etats-Unis pour reloger les victimes de l’ouragan Katrina ;
diffusé en 2009 un faux communiqué du gouvernement canadien annonçant une réduction des 40% des gaz à effet de serre d’ici 2020.
On répète souvent ici que l’avenir appartient à ceux qui racontent de belles histoires. Les Yes Men diraient plutôt : l’avenir appartient à ceux qui racontent de belles histoires… fausses.
Le pipeline du XVIème arrondissement
En 2024, le monde a changé. À l’heure où les fake news, les théories du complot et la défiance envers les institutions n’ont jamais été aussi répandues, est-ce vraiment responsable de s’inspirer des Yes Men ?
Ma réponse : OUI… car ils ne cherchent pas à manipuler ou tromper durablement leur audience. Leurs canulars exposent des contradictions et des injustices, ils ne diffusent pas de mensonges destinés à maintenir le public dans l’ignorance !
Le défi en 2024, c’est de s’assurer que le public comprend rapidement qu’il s’agit d’une satire, en utilisant des éléments volontairement absurdes ou exagérés.
Une fois terminée, l’action doit être absolument suivie d’une explication publique qui aide à comprendre l’enjeu.
C’est exactement ce qu’a fait le collectif Le Bruit Qui Court il y a quelques mois, en faisant croire qu’un oléoduc géant allait traverser la Belgique et la France.
Fausses lettres d’expropriation envoyées à des habitants de quartier aisés, faux chantiers, faux site internet, faux communiqués de presse… Un scénario qui aurait pu être écrit et réalisé par les Yes Men !
Mais surtout, une opération XXL pour dénoncer les conséquences humaines et environnementales du (vrai) projet EACOP de TotalEnergie, le plus long oléoduc chauffé au monde qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie.
Résultat ? Indignation générale bien sûr. Les médias en ont parlé, les habitants se sont organisés pour protester... jusqu'à ce que la supercherie soit révélée 24 heures plus tard.
Le canular, aussi absurde qu'il puisse sembler, a permis de placer une question écologique au cœur du débat public : si le projet n’est pas acceptable en Europe, pourquoi l’est-il en Afrique ?
Bref, les Yes Men ont fait des petits ! Et vous, qu’est-ce que ça vous inspire ?
🙌 Au revoir
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’avoir lu jusqu’au bout.
Merci encore aux sacs surcyclés de la Virgule d’avoir sponsorisé cette édition.
Si vous voulez devenir sponsor à votre tour, c’est par ici que ça se passe.
N’hésitez pas à partager vos réactions sur les sujets abordés cette semaine en commentaires ou en m’écrivant à thibaut.labey@gmail.com, je réponds à tous les messages.
Merci et à très vite,
Bravo aux Yes men, Heros internationaux
Mes nouveaux héros... je pars à la recherche de la cassette