Quand faut y aller, faut y aller
S01E01 - Je vous emmène sur le sentier de la guerre des récits
Salut à tous,
Je suis à la fois très excité et un peu flippé de vous partager ce tout premier numéro de GERONIMO.
Ce mail était programmé pour 6h59 ce matin : je me suis réveillé en panique 30 minutes avant, j’ai relu l’intro que j’avais préparée hier soir et j’ai tout bazardé.
Votre temps est ce que vous avez de plus précieux, je vais aller droit au but : je ne sais pas si je suis la meilleure personne pour vous parler du pouvoir des histoires pour insuffler de grands changements.
La seule chose que je sais, c’est ce que je baigne dans le sujet au quotidien dans ma grotte de scénariste et qu’il y a des centaines de références et d’idées que j’ai envie de vous partager.
Je vous emmène donc sur le sentier de la guerre des récits : en 10 minutes, voyons ensemble comment les histoires programment nos esprits, guident nos actions au quotidien et dessinent le monde tel que nous le connaissons.
Et surtout, voyons comment elles ont le pouvoir de dessiner un monde que nous ne connaissons pas encore. C’est parti : l’avenir appartient à ceux qui racontent de belles histoires !
Au programme
Une histoire de fou
Le bouquin que je ne lâche plus
Une série que j’aurais voulu écrire
Le MOOC que j’attends de pied ferme
Le prompt que j’utilise en ce moment
La tribu de GERONIMO
L’histoire que je raconte à mes fistons
C’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd
Le mot de la fin
1. Une histoire de fou
Dans cette rubrique, je vous partage une histoire qui a eu un impact considérable sur le monde dans lequel nous vivons. Belle histoire ou sale histoire, l’objectif en la détricotant est de comprendre pourquoi elle a fonctionné, afin d’utiliser la recette pour écrire des histoires qui racontent un monde plus juste et plus compatible avec les limites planétaires.
En bref - Au début des années 2000, l’entreprise British Petroleum (BP) lançait sa campagne de communication “What size is your carbon footprint ?”. Celle-ci introduisait au grand public le concept d’empreinte carbone individuelle : l’idée selon laquelle chacun d’entre nous a un impact sur la planète. Une vérité dont très peu de personnes avaient conscience à l’époque.
C’était en fait la première fois que la conversation sur le changement climatique basculait vers la responsabilité individuelle de manière aussi explicite et globale. BP montrait ainsi qu’elle adoptait une position proactive sur le sujet et endossait le costume d’une entreprise avant-gardiste et inspirante.
Pourquoi c’est une belle histoire - En racontant l’histoire de l’empreinte carbone individuelle, la campagne a permis aux consommateurs de réaliser qu’ils avaient le pouvoir de participer à la lutte : elle a créé le désir d’agir.
BP ne s’est pas arrêté là : pour transformer ce désir en action, l’entreprise a dévoilé un calculateur d'empreinte carbone, qui permettait à chacun d’évaluer comment sa vie quotidienne - aller au travail, acheter de la nourriture, voyager - avait un impact sur le réchauffement de la planète.
Aujourd’hui, on est nombreux à connaître notre empreinte (je suis team 7 tonnes) et on sait en gros quelles sont les pistes pour atteindre l’objectif des 2 tonnes par an (j’ai du boulot du côté de l’assiette et de l’achat de produits neufs).
En gros, BP a créé ce que Place To B appelle un récit “encapacitant” (jolie traduction de empowering narrative) :
une histoire qui donne au public des clés de compréhension des enjeux actuels
qui l’affecte émotionnellement
qui lui donne des capacités d’action
Le troisième ingrédient est celui par lequel tout peut basculer, pourtant il est trop souvent oublié par ceux qui cherchent à raconter des histoires qui ont de l’impact.
Pourquoi c’est (aussi) une sale histoire - Mais en focalisant l’attention sur l'empreinte carbone individuelle, cette campagne a fait porter la culpabilité aux seuls consommateurs, occultant le fait que 57 entreprises sont responsables de 80 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 2016.
Depuis, il ne vous a pas échappé que BP n’a rien fait pour réduire sa propre empreinte : la société produit environ 4.1 millions de barils par jour et figure à la 6ème place du classement des entreprises ayant émis le plus de CO2 depuis 1965.
Cette histoire et l’hypocrisie qu’elle incarne auraient pu s’arrêter là : que nenni. Depuis 2005, l’idée que les petits gestes individuels sont la priorité pour sauver la planète est utilisée dans tous les sens par ceux qui ont le pouvoir d’agir au niveau systémique mais ont intérêt à ce que rien ne change (exemples ici ou ici).
L’impact de cette histoire de fou - Les conséquences sont assez simples :
On culpabilise les individus en leur proposant d’alléger leur conscience, de lutter contre leurs dissonances cognitives à grand renfort de petits gestes et de nouvelles manières de consommer. Bien sûr, c’est crucial de recycler ses déchets et de manger moins de viande, mais c’est loin d’être suffisant.*
On détourne l’attention des principaux pollueurs.
On détourne l’attention des vraies priorités : se mobiliser collectivement, revoir le paradigme économique actuel (allez lire l’excellent article de Matthieu Dardy sur le sujet) et accoucher de politiques publiques ambitieuses.
Bref, le récit BP a fonctionné plein gaz (on dirait une blague du Plongeoir) !
Aujourd’hui je me pose une question : que se passerait-il si nos dirigeants politiques et les acteurs économiques les plus puissants de ce monde investissaient (proportionnellement) autant que nous - monsieur et madame Toulemonde - leur temps, leur énergie et leur argent dans la réduction de l’empreinte carbone dont ils ont la responsabilité ?
Mais surtout, quelles histoires de fou peut-on raconter à notre tour pour qu’ils le fassent vraiment… et vite ! N’hésitez pas à m’écrire si vous bossez sur le sujet.
2. Le bouquin que je ne lâche plus
Ah bah tiens ! Voilà justement une histoire qui nous projette dans un futur proche, dans lequel une action collective ambitieuse, globale - mais sacrément difficile - est mise en oeuvre par des politiques pour répondre au dérèglement climatique.
Ça s’appelle Le Ministère du futur, c’est le dernière roman du génial auteur de SF Kim Stanley Robinson (Mars la rouge, New York 2140…) et ça fait du bien par où ça passe.
L’histoire en bref - En 2025, une nouvelle institution internationale est créée : sa mission est de défendre les futures générations, en considérant que leurs droits sont aussi importants que ceux de la génération actuelle. L’action de son équipe s’inscrit dans un contexte international assez fou mais très réaliste : méga-canicule terrifiante en Inde, éco-terrorisme (du vrai de vrai), vagues migratoires, géo-ingénierie à grande échelle etc.
Comment ce livre participe aux nouveaux récits - Ça fait moins de 2 ans que j’écris de la fiction d’anticipation “positive” mais je commence à comprendre à quoi ressemble la recette qui fonctionne.
Voici les 3 ingrédients :
D’abord, une arène réaliste : plus le monde que décrit l’auteur semble possible, plus les lecteurs ou les spectateurs peuvent s’y projeter et s’identifier aux protagonistes.
Ensuite, une bonne dose de dramaturgie : comme dans toute bonne histoire, il faut des problèmes, des obstacles, des antagonistes… Plus on met le personnage principal dans la panade, mieux ça marche.
Une fois qu’on a les bases, il ne reste plus qu’à ajouter le plus important : la description d’un futur souhaitable et réalisable, qui donne à voir un avenir positif dans lequel se projeter et du coup, donne envie de participer à le créer.
Les deux premiers sans le troisième donnent de magnifiques dystopies type Les fils de l’homme ou Blade Runner. Le troisième sans les deux autres donnerait une utopie sacrément lisse du type Martine sauve le dernier rhino en 2050.
Le Ministère du Futur met la barre très haut sur les 3 aspects : il permet de comprendre que l’action collective est indispensable et de se projeter dans le type de résultats que celle-ci permet d’atteindre.
Autant dire que si on avait 100 romanciers et autant de scénaristes avec le talent et l’engagement de Kim Stanley Robinson, le monde de demain aurait sacrément de la gueule.
3. Une série que j’aurais aimé écrire
Canal confirme en ce moment qu’elle sait faire de belles séries ancrées dans la réalité : 66-5, D’argent et de sang,... Mais La Fièvre sort du lot et me fout une claque tous les lundis soir (le dernier épisode est sorti hier), tant elle dépeint avec lucidité et justesse l’influence des médias et des réseaux sociaux sur la manière dont ils polarisent notre perception d’un même événement… Et comment cela peut embraser une société.
Le pitch - Lors d’une remise de prix du football français, un joueur à la peau noire donne un coup de boule à son entraîneur en le traitant de « sale toubab » (« sale Blanc »). C’est le début d’une tempête médiatique complètement folle, au cœur de laquelle s’affrontent Sam la communicante de crise du club et Marie, une humoriste qui utilise son seule-scène et ses réseaux sociaux pour instrumentaliser l’événement.
Pourquoi c’est une série importante - Elle décrit minutieusement comment Sam et Marie utilisent chacune leur talent et leur influence pour raconter une histoire différente à partir du même fait. De la presse à la télé en passant par internet, le créateur de la série Eric Benzekri (auteur de Baron Noir) raconte le combat sans merci qu’elles se livrent pour orienter l’opinion publique. Une illustration magnifique (et flippante) du pouvoir que détiennent ceux qui savent raconter de belles histoires.
4. Le MOOC que j’attends de pied ferme
Imagine 2050 est une boîte qui fait beaucoup de choses, dont ce test de personnalité que je vous recommande. Leurs activités peuvent être résumées par une mission : inspirer de nouveaux imaginaires pour réduire la pression sur le vivant exercée par nos modes de vie. En mai, ils sortent un MOOC dont voici la bande-annonce. Je m’en lèche les babines, comptez sur moi pour en reparler ici.
5. Le prompt que j’utilise en ce moment
Je me suis pas mal pris la tête pour décider de l’angle à adopter dans cette newsletter. Il existe des centaines d’infolettres sur tous les sujets possibles, sans doute des dizaines sur l’art de raconter des histoires.
Alors, comment ne pas ajouter du bruit au bruit et raconter quelque chose qui serve vraiment aux gens qui utiliseront un peu de leur temps pour la lire ?
Pour mieux comprendre les personnes que je cible, j’ai utilisé le canvas JTBD (Jobs To Be Done) dans Chat GPT. C’est un outil marketing qui permet de comprendre les difficultés et les désirs d’une catégorie d’individus, notamment à travers les tâches (“jobs”) que celles-ci effectuent déjà au quotidien. Ça permet en gros de s’assurer que le produit ou le service qu’on leur propose va vraiment leur servir à quelque chose.
J’ai donc demandé à GPT d’utiliser le canvas pour lister les difficultés et les désirs des personnes intéressées par le pouvoir des histoires pour créer un avenir positif, en faisant l’hypothèse qu’elles se divisaient en plusieurs catégories :
les professionnels qui utilisent le storytelling dans leur travail
les parents qui racontent des histoires à leurs enfants
plus généralement, les personnes qui aiment raconter des histoires
Voici les 3 prompt que j’ai utilisés chronologiquement :
Je crée (description précise du produit ou du service).
Ma cible est constituée de (description de la cible aussi détaillée et segmentée que possible).
En t'inspirant du canvas JTBD, aide-moi à mieux la comprendre en identifiant :
. 10 difficultés spécifiques auxquelles elle est confrontée.
. 10 désirs spécifiques qu'elle souhaite réaliser.
Penses-tu que (mon produit/ service) répondra à certaines de ces difficultés et certains de ces désirs ?
Selon toi, quelles sont les fonctionnalités à retirer ou à ajouter pour satisfaire encore mieux ma cible ?
J’ai été très agréablement surpris par la réponse que j’ai obtenue, suffisamment pour revoir une partie de l’architecture de cette première newsletter et ajouter deux nouvelles rubriques. Cette réponse est trop longue pour que je le partage ici mais je la tiens à dispo de ceux qui me la demanderont !
6. La tribu de GERONIMO
Bon, vous êtes déjà 815 à lire cette news (merci pour la confiance !), mais pour le moment il n’y a que moi qui parle dans le micro… Je n’ai jamais écrit un email avec autant de “je” que celui-ci.
Mon rêve avec GERONIMO, c’est de vivre une aventure collective : de créer une vraie tribu en rassemblant tout un paquet d’Apaches qui veulent raconter et diffuser des histoires qui participent à créer le monde dont on rêve pour nos gosses.
Dans cette rubrique, je partagerai les actus des membres de la tribu : partagez-moi les projets sur lesquels vous bossez, les ressources que vous utilisez, les coups de main dont vous avez besoin, ceux que vous êtes prêts à donner etc.
On commence avec cinq infos :
→ Une belle plume - En mars, j’ai eu la chance de participer au jury du concours organisé par le collectif Bonne Vie. Le thème : en 2035, donner envie à une dizaine d’extraterrestres de venir faire un séjour sur Terre dans le cadre d’un programme d’échange. Un texte sortait vraiment du lot, notamment par sa musique : celui de Jeanne Pélisson, que vous pouvez retrouver sur Chiche.
→ Les entreprises se bougent - Si vous bossez pour une boîte qui raconte des histoires, la CEC Nouveaux Imaginaires recrute encore quelques participants avant le grand départ du 23 avril.
→ Le cinéma se bouge - Si vous travaillez dans l’audio-visuel, il est toujours temps de rejoindre le collectif CUT (Cinéma Uni pour la Transition) pour accéder à un atelier et une conférence mensuels.
→ Projection - Le 30 avril à Paris (mairie du 13ème), assistez à la projection de 4 court-métrages d'anticipation écologique réalisés dans le cadre d’un concours organisé par Canal + sur la thématique On s'adapte.
→ Ateliers - Participez à la Fresque des Nouveaux Récits, un expérience coopérative et ludique pour faire émerger un futur désirable : plusieurs ateliers sont organisé tous les mois partout en France.
9. L’histoire que je raconte à mes fistons
Forêt des frères - Deux frérots héritent chacun de la moitié d’une même forêt. Le premier va y vivre en essayant de laisser le moins de traces possible. Le second va s’installer pour réaliser ses rêves, quitte à modifier un peu le paysage. Une illustration magnifique de l’impact de nos modes de vie sur la nature qui nous entoure ! « Un album contemplatif, qui porte une réflexion sans jugement, presque sans paroles, tout en délicatesse »(Acte Sud).
8. C’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd
→ Nicolas Mathieu dans Pioche : « Une utopie qui pourrait résoudre certains problèmes écologiques et sociaux, c‘est la ville du quart d’heure, où tout est disponible à un quart d’heure à vélo. Un retour au village finalement. Qui n’a pas envie de vivre ça en réalité ? On peut ensuite en sortir, voyager, si on veut, mais avoir tout à proximité, c’est une possibilité de vie désirable pour tout le monde je crois ».
→ Casandre Milius est tombée sur Pierre Niney dans le Nice - Paris : « Quand des stars du cinéma choisissent le train plutôt que l’avion, ce n’est pas anodin. Elles rendent sexy un transport bas-carbone. Elles associent le choix éco-responsable à l’imaginaire de la réussite ».
→ Madame Claude sur Linkedin : « Je ne trouve pas les mots pour expliquer la notion de sobriété à ma tante Aïcha qui, à 58 ans, a passé toute sa vie à faire des ménages et qui à chaque anniversaire est tellement heureuse de réunir la famille autour d’une jolie table de vaisselles jetables achetées à Action, parce que ça lui évitera de faire la vaisselle de 25 personnes alors qu’elle se lève à 4h le lendemain ».
→ James Cameron sur France Inter : « Dans Avatar, les Na’Vi représentent ce qu'il y a de meilleur en nous, qui combat ce qu'il y a de pire en nous ».
→ Elle Griffin sur Substack : « Pourquoi dit-on que certains romanciers ont "prédit" le futur ? Jules Verne aurait “prédit” le sous-marin, Edward Bellamy aurait “prédit” les cartes de crédit, E.M. Forster aurait “prédit” Internet. Les romanciers n'ont pas prédit ces technologies, ils les ont inventées. Leur vision a ensuite été utilisée par des entreprises pour en faire une réalité ».
9. Le mot de la fin
Bruno Latour disait : « L'écologie politique réussit l'exploit de nous faire paniquer et bailler d'ennui ». Heureusement, certains s’attellent avec succès à la quête du Graal : parler d’écologie en nous faisant passer un bon moment.
À Enya Baroux, Martin Darondeau, Queenie Tassell et Bertrand Usclat : bravo et merci pour cet épisode de Fleur Bleue !
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’avoir lu jusqu’au bout !
On se retrouve dans deux semaines. D’ici là, n’hésitez pas :
à me dire ce que vous avez pensé de cette première édition
à mettre un petit like / commentaire avec votre ressenti
à partager cette news si vous l’avez trouvée utile. C’est uniquement comme ça que ce projet va grandir. Directement par e-mail, ou Whatsapp / SMS ici 👇
Thibaut/ Toucan
*PS : j’espère que mon petit laïus sur la responsabilité individuelle Vs la responsabilité collective (cf Une histoire de fou) ne sera pas mal interprété : il ne s’agit en aucun cas d’opposer les deux. Notre empreinte carbone à tous est une réalité que nous ne pouvons nous donner le luxe d’occulter au quotidien. En partageant l’histoire de la campagne BP qui nous a introduit le concept, mon intention est de transformer toute honte ou culpabilité qu’on pourrait ressentir en DÉSIR de s’engager collectivement. Pour ça, notre vote, notre métier et nos engagements auprès des associations sont nos meilleurs armes. À bon entendeur !
Je t’ai découvert via Chillowé et je suis hyper heureuse de continuer à le faire via ton info-lettre ! Bravo !
Bravo ! Hyper inspirant (et excessivement complet!)