La vérité si je mens
S02E02 - Comment raconter des histoires qui luttent contre le pouvoir de la désinformation ?
Temps de lecture : 7 minutes environ.
Salut à tous,
Selon le Forum Économique Mondial, la désinformation est aujourd’hui le risque numéro un pour l’humanité. Désolé de plomber l’ambiance !
Force est d’admettre que le phénomène est partout : de fake news en intox, il affaiblit la démocratie, exacerbe les divisions sociales et attise les tensions géopolitiques. Sans parler de ses effets sur la confiance dans la science ou des menaces sur la santé publique.
Bref, il y a du taff. Tellement de taff que j’ai décidé de consacrer deux newsletters au pouvoir des histoires pour lutter contre la manipulation de l’information :
On va voir cette semaine comment retourner les armes de la désinformation contre elle, avec l’histoire ahurissante d’une fausse théorie du complot.
La semaine prochaine, on découvrira deux histoires de canulars qui ont contribué à éveiller les consciences sociales et environnementales.
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Bill Gates x Lady Gaga
Les oiseaux n’existent pas
Gisèle, reine de la désinformation
Bill Gates x Lady Gaga
Il y a quelques jours, je suis resté scotché devant l’épisode “Truth or consequences” de la série What’s Next ? sur Netflix, dans laquelle Bill Gates explore le phénomène des théories du complot dont il pâtit depuis des années. Vous avez peut-être entendu qu’il est accusé d’avoir financé l'épidémie de Covid et planifié la vaccination pour inoculer une puce à tous les habitants de la Terre ?
L’épisode d’une heure voit notre homme échanger avec les meilleurs experts de la désinformation ainsi que… Lady Gaga, cible elle aussi d’un joli florilège de fake news depuis le début sa carrière : transidentité, sacrifice humain, satanisme, plagiat et plein d’autres trucs croustillants.
Le constat de Bill à l’issue de ces discussions est désarmant :
Je me suis planté, je pensais vraiment qu’Internet réduirait la désinformation. Aujourd’hui, je n’ai pas de plan pour remédier à ce bazar et ça m’attriste beaucoup.
Effectivement, deux (vraies) théories rendent tout ça assez désespérant :
tenter de supprimer, censurer ou limiter l’accès à une fausse information revient à lui donner plus de visibilité. C’est le fameux effet Streisand.
les fausses nouvelles voyagent 6x plus vite que les vraies et il faut 10x plus d’efforts pour debunker une intox que pour la balancer. C’est la loi de Brandolini qu’Olivier Sibony appelle génialement « le principe d'asymétrie du bullshit ».
Puisque Bill a baissé les bras, il va falloir qu’on se débrouille avec nos petits bras pour sauver le monde des propagandes, des mensonges et contre-vérités qui sont en train de le rendre complètement marteau.
Ça tombe bien, certaines histoires nous montrent que la désinformation utilisée de manière satirique et contrôlée peut être utilisée pour provoquer des prises de conscience politiques, sociales et environnementales dans l’opinion publique.
J’ai déniché un paquet d’exemples que je trouve particulièrement brillants. Je vous propose qu’on se concentre aujourd’hui sur l’un d’entre eux qui a réussi la performance d’utiliser tous les codes de la désinformation pour mieux la dénoncer !
Ça s’appelle Birds Aren’t Real et ça risque de vous en boucher un coin.
Les oiseaux n’existent pas
L’histoire - De 1969 à 2001, le gouvernement américain a largué par avions des toxines qui ont éradiqué les pigeons du ciel des États-Unis. 12 milliards d’entre eux ont été remplacés par autant de drones de surveillance, déguisés en volatiles et conçus pour espionner le peuple américain.
Vous n’y croyez pas ? Alors primo, pourquoi personne n’a jamais vu de bébé pigeon ? Peut-être parce que les oiseaux sortent de l’usine déjà sous leur forme adulte…
Secondo, pourquoi passent-ils leur temps perchés sur les fils électriques ? Peut-être parce qu’ils ont besoin de recharger leurs batteries…
Et enfin, pourquoi passent-ils leur temps à décorer nos voitures avec leurs fientes si ce n’est pas pour nous traquer plus efficacement ?
Pendant 4 ans, Peter McIndoe a parcouru les États-Unis à bord de son van pour raconter cette histoire, partager ses découvertes et « déprogrammer les Américains de la propagande pro-oiseaux » en martelant sa découverte : « Birds Aren’t Real ».
Sur sa route, il a rassemblé des milliers de personnes avec qui il demandait aux autorités de débrancher tous les pigeons du pays, ou à Twitter de changer son logo. La théorie s’est répandue comme une traînée de poudre sur les chaînes d’infos locales.
En 2021, Peter a finalement révélé en une du New York Times que tout ça était une farce, car il avait atteint son objectif : démontrer la vulnérabilité du public face à la désinformation, afin de sensibiliser aux dangers des théories du complot.
Le plan - En incarnant le rôle de leader d’un faux mouvement conspirationniste, il voulait révéler à quel point des idées absurdes, si elles sont bien construites et diffusées, peuvent être prises au sérieux et se propager largement.
Par cette démarche, Peter cherchait à éveiller l'esprit critique du public, en exposant les mécanismes qui rendent les gens réceptifs aux fake news et aux récits conspirationnistes.
En dévoilant la supercherie, Peter espérait pousser le public à remettre en question sa façon de consommer et de partager des informations, à prendre conscience de l'importance de vérifier ses sources et de cultiver un esprit sceptique.
Bien sûr, sa campagne visait également à mettre en lumière l'influence croissante des médias et des plateformes en ligne dans la diffusion de la désinformation. Il explique tout ça dans une conférence TED en 2023 : c’est à la fois bluffant, flippant et jubilatoire.
La méthode - Pour dénoncer et combattre la désinformation, Peter ses acolytes ont tout simplement utilisé les codes de celle-ci de manière intentionnelle et maîtrisée. Et ils n’y sont pas allés avec le dos de la main morte : rassemblements publics, panneaux publicitaires, fausses preuves envoyées aux médias…
Ils ont également inventé une fuite d’emails du Pentagone appelée Pigeon Gate, exposant un soi-disant complot de surveillance du gouvernement à travers des oiseaux-drones. Cerise sur le McDo, ils ont engagé un acteur pour jouer un ancien agent de la CIA qui confessait sa participation à l’opération.
Ce que j’en retiens - En découvrant l’histoire de Peter, je me suis d’abord dit que j’avais affaire à un taré dont les bêtises auraient pu partir en gros dérapage incontrôlé.
Et puis j’ai compris que son génie était d’avoir compris qu’on pouvait utiliser la satire et l’art de raconter des histoires pour capter l'attention et remettre en question des perceptions établies.
Birds Don’t Fly démontre magistralement qu’une histoire intrigante et bien exécutée peut non seulement amuser, mais surtout amener les gens à réfléchir à des sujets de société.
J’en retiens trois bonnes pratiques pour créer des récits puissants :
Oser raconter des histoires ahurissantes pour capter l’attention ;
Utiliser la satire pour inciter son audience à considérer une situation autrement qu’elle en a l’habitude ;
Engager et mobiliser cette audience en créant des opportunités d’interaction et de rassemblement entre ses membres.
Gisèle, reine de la désinformation
Pour conclure, si tout ce qui précède vous a donné un peu le vertige, respirez un grand coup et prenez 3 minutes pour écouter ce petit bijou écrit et interprété par Lison Daniel.
Il réussit la performance de résumer tout le problème de la désinformation sous la forme d’une histoire aussi crédible que drôle. Régalez-vous !
🙌 Au revoir
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’avoir lu jusqu’au bout.
RDV la semaine prochaine pour deux nouvelles histoires incroyables, qui nous racontent comment la désinformation peut servir à éveiller les consciences sociales, politiques et environnementales.
D’ici là, j’ai deux petites choses à vous demander :
Partagez en commentaires vos réactions et vos ressources sur les sujets abordés (ou à thibaut.labey@gmail.com, je réponds à tous les messages).
Mettez un petit like ou un commentaire sur cette newsletter si vous l’avez trouvée utile. Vous pouvez aussi la partager si vous pensez qu’elle peut intéresser du monde autour de vous.
J’ai aussi la chance d’être de plus en plus sollicité pour parler du pouvoir des histoires dans des conférences, des ateliers ou dans le cadre de missions : n’hésitez pas à faire passer le mot !
Merci et à très vite,
Édition absolument géniale ! Vivement la prochaine ! :)
Je vais claironner partout "Ne lisez surtout pas Geronimo" - peut-être je réussirais ce coup de désinformation. J'adore le "Birds aren't real". Bien vu , hâte de lire le prochain post.