Le remède pour faire baisser la Fièvre
S01E06 - Quand la grande Histoire s'accélère, les petites histoires peuvent aider à mettre en valeur ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous divise.
Salut à tous,
Ces derniers temps, la France ressemble à un plateau de télé : chacun est sommé de prendre parti, personne n’est d’accord et tout le monde se met sur la tronche.
Certains ont peur de la fin du mois, d’autres ont peur de la fin du monde. Certains s’alarment pour l’avenir de la démocratie, d’autres s’inquiètent pour leur sécurité. Chacun évolue dans sa bulle cognitive, bercé par des infos et des émotions qui le confortent dans ses opinions.
Les élections agissent comme un catalyseur de ces différences et on oublie tout ce qu’on a en commun, que ce soit avec des proches ou avec des étrangers. On parlait il y a quelques mois de la série La Fièvre qui décrit la capacité des réseaux à polariser et embraser une société : ça y est, on y est.
Dans la Fièvre, Sam Berger (jouée par Nina Meurisse) est persuadée que la société française s’apprête à vivre une crise majeure dont elle ne reviendra pas.
En tant qu’auteur de fiction, je devrais me régaler de cette inspiration sans limite que met à ma disposition l’actualité : la base d’une bonne histoire, c’est un conflit intense entre des personnages complexes ! En tout cas, c’est ce que nous apprennent les maîtres de la dramaturgie.
À l’heure de la construction du front républicain, j’ai eu envie de prouver le contraire : je suis allé chercher des histoires de marques et de fiction qui incarnent L’IRÉNISME, l’idée de se concentrer sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise (Irène vient du grec eirênê qui signifie paix).
Une arme de construction massive aussi simple qu'efficace, pour envoyer paître tous les artisans du chaos.
Vous allez vous aimer les uns les autres, b•rdel de m•rde ? - Les Inconnus
👋 Avant de continuer
Bienvenue aux 638 personnes qui nous ont rejoints depuis la dernière édition. Deux fois par mois, je partage ici les histoires qui m’inspirent pour raconter un futur positif, ambitieux et réalisable. J’ai l’impression qu’on n’en a jamais eu autant besoin qu’en 2024 !
Pour en savoir plus, vous pouvez :
Écouter le podcast The Storyline de Noémie Kempf, dans lequel je décris comment les récits d’aujourd’hui façonnent le monde de demain.
Jeter un coup d’œil à mes conférences sur le pouvoir des histoires pour façonner l’avenir. J’étais il y a quelques jours chez Veja, invité par Komando.
Vous pouvez aussi répondre à cette newsletter si vous avez des suggestions d’amélioration ou si vous pensez qu’on pourrait raconter de belles histoires ensemble.
Bonne lecture !
🍎 Au menu
Des publicités qui rassemblent ceux qu’on oppose
Des concurrents qui unissent leur forces
Des films qui racontent des rencontres improbables
Des opposants qui dialoguent sur Wattsapp
Bonus : un playboy qui fait de la planche à voile
⏳ Temps de lecture : 8 mn
1. Des publicités qui rassemblent ceux qu’on oppose
TV 2 Danmark : All that we share (2017)
La publicité peut-elle participer à diffuser d'autres valeurs que le succès et le bien-être individuels, le plaisir à court terme, la surconsommation ou une certaine idée de la beauté ? Oui ! En 2017, la chaîne TV 2 Danmark a diffusé le clip All that we share, qui illustre avec douceur et humour une évidence qui ne saute pas aux yeux : notre humanité nous rassemble plus qu'elle nous oppose.
Le concept : montrer ce qu’on ne voit pas. Citadins vs ruraux, croyants vs athées, immigrés vs autochtones, classes supérieures vs classes moyennes, Gen Z vs boomers : les concepteurs du clip ont réuni des Danois de tous horizons. Première étape : les ranger littéralement dans des cases tracées au sol pour mettre en évidence ce qui semble les opposer les uns aux autres.
Ils leur ont ensuite demandé de se déplacer en fonction de questions personnelles qui leur étaient posées : « qui se sent seul ? Qui est amoureux ? Qui a eu le coeur brisé ? Qui s’est fait harceler à l’école ? Qui aime son pays ? Qui a trouvé un sens à sa vie ? » etc.
Le résultat, très visuel, est vraiment émouvant. Malgré les stéréotypes propres à chaque catégorie de la population, il met en évidence que avons plus de choses en commun que ce que les étiquettes que nous nous collons les uns les autres pourraient a priori laisser supposer.
Il faut plus d’histoires comme celle-ci ! Nos sociétés semblent ne jamais avoir été autant fragmentées, pourtant nous n'avons jamais eu autant besoin de jouer collectif pour résoudre les défis colossaux qui se présentent : sociaux, géopolitiques, environnementaux.
Sortir de nos bulles et embrasser l'altérité : c'est l'un des enjeux les plus urgents et les plus importants du moment. C'est d’ailleurs tout l'objet du projet ENSEMBLE(S), mission presque impossible ? que vient de lancer Clara Delétraz, co-fondatrice de Switch Collective. Merci à elle de m’avoir fait découvrir ce clip ! Une autre version existe, encore plus mélo mais tout aussi efficace.
Chiche ? Je ne sais pas si ça vous fait penser à la même chose que moi, mais je rêve d’une campagne de communication qui rassemble bientôt des électeurs français de tous les bords pour qu’ils échangent des sourires et des mots doux plutôt que des doigts d’honneur et des noms d’oiseaux.
Heineken : Worlds apart (2017)
Le concept - Demander à deux inconnus qui ont des opinions radicalement opposées d’effectuer une tâche commune, avant de leur révéler leurs divergences et de leur donner le choix d’en discuter autour… d’une bière. Climat, transidentité, féminisme : la marque n’a pas lésiné sur le choix des sujets.
Le résultat - La publicité illustre parfaitement le pouvoir du dialogue et de l’ouverture d’esprit pour surmonter les préjugés et la division. Avec son slogan Open your world, Heineken réussit à positionner son produit comme l’une des solutions à la polarisation et au fractionnement de la société. Pas mal pour une boîte qui vend des mousses !
En parlant de Worlds Apart - Savez-vous que le boys band des 90’s revient en France en octobre ? Les beaux rosbifs approchent de la soixantaine et ils ont toujours le sourire aussi bright.
Coca Cola : Small World Machines (2013)
Le concept - Créer un lien entre les habitants de l’Inde et le Pakistan, deux nations au relations historiquement tendues. La marque a installé des distributeurs interactifs qui permettaient aux utilisateurs de communiquer visuellement en temps réel des deux côtés de la frontière.
Le résultat - En mettant à disposition un outil qui incite les gens à échanger des gestes, des idées ou des chorégraphies, Coca Cola envoie un message simple et universel : ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. Elle coupe l’herbe sous le pied des deux gouvernements qui passent leur temps à s’invectiver et se menacer plutôt que d’écrire ensemble un récit de réconciliation.
Ça me fait penser à ce qu’écrit Raphaël Llorca, auteur du Roman national des marques : quand il y a un déficit narratif à l'échelle de la nation, les marques sont de plus en plus enclines à s'emparer de cette fonction et à servir ainsi leur positionnement.
Promouvoir la paix entre les peuples par des petites gestes pour vendre des canettes… Je serais curieux d’avoir vos réactions là-dessus !
2. Des concurrents qui unissent leurs forces
L’idée - Vous l’avez peut-être vue passer : en avril, les marques de steaks végétaux La Vie, Accro, Heura et HappyVore ont lancé une campagne de communication commune. Leur objectif : dénoncer le décret qui interdit aux produits contenant des protéines végétales d’utiliser des noms réservés à la viande d’origine animale : jambon, merguez, steaks, chipos. Les quatre concurrents ne se sont pas laissés faire et ont obtenu un report du décret devant le Conseil d’État.
La morale de cette histoire - L’avenir appartient à ceux qui coopèrent ! Bien que concurrentes, les marques partagent un objectif commun : augmenter la part du végétal dans nos assiettes pour répondre aux défis environnementaux (changement climatique, chute de la biodiversité, préservation des ressources en eau). Cette initiative illustre la force de l’action collective pour construire un avenir compatible avec les limites planétaires.
Ça me fait penser au livre L’entraide, l’autre loi de la jungle de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle. Ils y racontent comment les espèces qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus « fortes », mais celles qui s’entraident le plus.
3. Des films qui racontent des rencontres improbables
On ne compte plus les histoires de personnages qui s’unissent malgré leurs différences pour combattre un ennemi commun : Avengers, X-Men, Le Seigneur des Anneaux (au fait, avez-vous vu passer cette vidéo la France contre le Mordor ?) etc.
Mais peu de films racontent des histoires d’individus a priori irréconciliables, qui choisissent délibérément de se rapprocher par pure humanité, pour partager leur envie de fraternité. En voici deux devant lesquels j’ai particulièrement vibré.
Je verrai toujours vos visages (2023)
Que se passe t-il quand des victimes de vols avec violence ou d’agressions sexuelles rencontrent leurs agresseurs incarcérés ? C’est ce que raconte ce film écrit et réalisé par Jeanne Herry à travers les parcours de personnes impliquées dans la justice restaurative, un dispositif proposé en France depuis 2014.
Joyeux Noël (2005)
L'histoire vraie de la trêve de Noël spontanée survenue lors de la Première Guerre mondiale entre les troupes allemandes, françaises et britanniques. Le film illustre comment les soldats ont mis de côté leurs différences et leurs armes pour partager des moments de fraternité et d'humanité au milieu des horreurs de la guerre.
Ce que je retiens - Ces deux films inspirés d’histoires vraies insufflent un fol espoir sur la capacité d’individus que tout oppose à renouer du lien, sans tomber dans la naïveté et les bons sentiments (je trouve). Tous deux mettent en avant l’importance d’ouvrir ou maintenir le dialogue, ingrédient indispensable à la compréhension mutuelle, à la réconciliation et au pardon.
Mais surtout, ils arrivent à apporter de la légèreté sur des sujets très lourds : la guerre, le crime, la souffrance. Là-dessus, je vous recommande de lire cet excellent épisode de Tchik-Tchak, ma newsletter préférée sur l’écriture de scénario.
3. Des opposants qui dialoguent sur Wattsapp
Le concept - Faire dialoguer des personnes qui ne se parlent pas naturellement : c’est exactement l’objet de l’initiative lancée par le journaliste Max Laulom au lendemain de la dissolution du 9 juin. Il a créé un groupe Wattsapp sur lequel il a réuni 4 jeunes qui ne se connaissent pas et qui votent différemment. Jusqu’à dimanche, ils discutent par notes vocales pour expliquer leurs opinions et commenter cette période historique.
Parler des questions qui fâchent - Vous avez des proches qui ne votent pas comme vous en ce moment ? Surtout, ne coupez pas les ponts : échangez, questionnez, challengez ! Je vous assure que ça fait du bien à tout le monde. J’ai souvent entendu que le bonheur est fonction du nombre de conversations difficiles qu’on est prêt•e à avoir dans sa vie : celles-ci en font partie.
Et si vous sentez que vous avez de plus en plus de mal à accepter des opinions différentes de la vôtre, allez lire la biographie de Montaigne écrite par Stefan Zweig. Ce dernier y explique comment le philosophe humaniste a réussi à conserver sa liberté intérieure et sa capacité de tolérance en pleine guerres de Religions.
5. Bonus : un véliplanchiste messager de paix
En bref - En 1984, Arnaud de Rosnay est mort en tentant de rallier Taïwan depuis la Chine à bord d’une planche à voile. Parti avec une voile aux couleurs du drapeau chinois, il comptait la transformer en pavillon taïwanais au milieu du détroit de Formose. Il a disparu pendant la traversée sans qu’on ne sache jamais ce qui lui était arrivé.
Cette traversée était la quatrième du genre : l’aventurier français avait déjà rallié l’Alaska à l’URSS via le détroit de Bering, la Floride à Cuba et le Japon à l’Union Soviétique (cf photo ci-dessous). À chaque fois, sa voile arborait les couleurs des deux drapeaux pour matérialiser un pont entre des pays qui n’entretenaient pas de bonnes relations. Bref, lui aussi cherchait à faire baisser la Fièvre !
À quand le film ? - Petit frère de Joël, oncle de Tatiana, Arnaud de Rosnay était un personnage haut en couleur : pionnier du skate et du surf, playboy en Rolls-Royce, pote de Mike Jagger, vendeur de patinoires aux émirs du Golfe, inventeur du speed sail avec lequel il traversa le Sahara, mari de la belle Jenna… Sa vie est un vrai roman dont les traversées en planche à voile n’occupent que quelques chapitres.
Il y a deux types qui me donnent parfois l’impression d’être passé à côté de ma vie : Arnaud de Rosnay et Pierre Niney. Pour me soigner de ma jalousie, j’écrirai un jour un biopic du premier incarné par le deuxième.
🙌 Au revoir
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’avoir lu jusqu’au bout.
J’ai deux petites choses à vous demander :
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À très vite,
Newsletter très agréable à lire surtout deux jours avant le 2ème tour des Législatives. Cela donne de l'espoir.
L'irénisme est carrément contre-intuitif dans une société où tout le monde vocifère pour se faire entendre ! C'est comme une révolution silencieuse, et ça pourrait bien être la clé pour sortir de cette ambiance morose.