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S02E07 - Comment raconter des histoires pour faire face aux crises, au bruit des bottes et à la haine
Temps de lecture : 11 minutes environ
Salut à tous,
Bienvenue sur le sentier de la guerre des récits, bienvenue dans cette nouvelle édition de Geronimo.
Vous êtes 6 782 à recevoir cette newsletter ; c’est à peu près le nombre de petits humains qui vont naître dans les 26 prochaines minutes.
Dans cet épisode, je vous partage 7 pistes d’action pour participer à la Récit-Stance.
Cet e-mail sera coupé avant la fin : je vous conseille de le lire directement dans votre navigateur.
L’avenir appartient à ceux qui racontent de belles histoires, alors au boulot !
L’édito
Je crois qu’on est nombreux à en avoir plein le dos d’entendre parler « du nouveau Néron » et de son « bouffon sous kétamine », alors je vous invite à passer quelques minutes ensemble sans citer ni l’un, ni l’autre.
Un ange passe.
Parlons plutôt de Jean-Jacques Goldman.
Dans la chanson “Né en 17 à Leidenstadt”, le Français préféré des Français se demandait en 1990 de quel côté il aurait été s’il avait été Allemand dans les années 30 ou s’il avait été blanc pendant l’Apartheid.
Je ne saurais pas expliquer pourquoi ces paroles m’accompagnent depuis la fac, mais je trouve qu’elles n’ont jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui.
Car la question que pose cette chanson est furieusement actuelle : en 2025, aurons-nous le courage d’agir face aux crises, face au bruit des bottes et face à la haine, ou serons-nous complices par notre passivité ?
Signe des temps, le mot de “résistance” semble fleurir un peu partout, et pas seulement en couverture du best-seller de Salomé Saqué.
On le voit bien sûr proliférer aux États-Unis, avec par exemple :
👉 L’histoire hallucinante du directeur par intérim du FBI qui a refusé de participer à une purge au sein de son administration, après avoir été nommé à sa tête par erreur.
👉 Le milliardaire Michael Bloomberg qui a annoncé qu’il s’engageait à financer, à la place du gouvernement fédéral, toute contribution impayée à l’ONU Climat.
👉 La représentante Jasmine Crockett qui utilise son langage cash au Congrès, sur les réseaux sociaux et sur les plateaux télé pour littéralement défoncer les nouveaux rois de Washington.
👉 Le sénateur Bernie Sanders qui ridiculise l’idée de voler le Groenland en proposant plutôt de “voler” le système social danois à la place.
👉 Les Anonymous qui appellent le peuple américain à se réveiller devant le coup d'État numérique exercé par le DOGE, qui marquerait le début d’une destruction de la démocratie US.
👉 Un manuel de sabotage rédigé en 1944 par l’armée américaine pour entraver la machine nazie, qui a été téléchargé des centaines de milliers de fois depuis le 20 janvier.
Et chez nous alors ? Les menaces peuvent ne pas sembler aussi concrètes que de l’autre côté de l’Atlantique, pourtant les défis sont bien là.
Je ne veux pas gâcher l’ambiance mais aux dernières nouvelles, les populistes pourraient s’emparer du pouvoir en France avant 2030 et on est en train de perdre une décennie décisive pour agir face à l’urgence écologique.
Bref, il y a du taff. Si on se projette à la fin du siècle et qu’on considère qu’en 2025, notre pays aurait été à un tournant aussi déterminant que 1917 en Allemagne, alors les choix que nous faisons aujourd’hui vont façonner tout le siècle à venir.
Du point de vue des récits, on aurait perdu la partie car on n’aurait pas su raconter une alternative désirable et mobilisatrice. On n’aurait pas réussi à articuler un narratif puissant et fédérateur qui donne un cap collectif face aux menaces.
Alors concrètement, qu’est-ce qu’on fait si on aime raconter des histoires et qu’on veut participer à la Récit-Stance ? C’est l’objet de cet épisode de Geronimo !
🍎 Au menu
Hacker les codes du storytelling
Changer le récit du progrès et de la performance
Porter un regard différent sur les femmes à l’écran
Parler des gens biens
Proposer un nouveau récit européen
Redéfinir le bonheur
Changer le monde en récoltant des Oscars
Bonus : un conseil shopping
J’ai été assez bavard sur les réseaux sociaux ces derniers temps, notamment Linkedin. Les pistes d’actions que je vous propose ici sont les résumés de certains de mes derniers posts : n’hésitez pas à aller consulter ceux qui résonnent le plus chez vous pour obtenir plus de détails.
Hacker les codes du storytelling
Le monde n’a jamais été aussi complexe mais les récits qui le décrivent sont de plus en plus simplifiés et standardisés. C’est l’objet du passionnant bouquin “La crise de la narration” du philosophe coréen Byung-Chul Han, qui décrit comment nos histoires sont en train d’être vidées de leur substance, enfermées dans des formats uniformisés et calibrés pour la consommation.
Il est donc urgent de raconter des histoires qui résistent à l’industrialisation du storytelling. Heureusement, de nombreux créateurs, médias et collectifs résistent déjà à l’appauvrissement de la narration en produisant des contenus exigeants, nuancés et captivants.
C’est ce que fait brillamment Gints Zilbalodis, réalisateur de “Flow”, qui vient de remporter l’Oscar du meilleur film d’animation. À l’heure où Hollywood et les plateformes ont tendance à recycler les mêmes schémas narratifs, le Letton casse les codes :
👉 Par l’absence d’antagoniste classique : les défis auxquels font face ses personnages sont principalement environnementaux et psychologiques.
👉 Par l’approche naturaliste : les animaux ne sont pas anthromorphisés comme dans un film Disney, ils conservent des comportements authentiques.
👉 Par l’accent sur l’émotion plutôt que sur l’intrigue : Zilbalodis cherche en priorité à susciter des sentiments et des émotions pour imprimer les “messages” qu’ils cherchent à faire passer à travers son film.
Et si le futur du storytelling ne venait pas de Pixar ou de Netflix, mais d’un studio indépendant letton qui mise sur la poésie visuelle, sur l’imagination et l’intelligence du spectateur ?
Changer le récit du progrès et de la performance
L’innovation est souvent synonyme d’extraction et de destruction, mais des ingénieurs-rêveurs comme Corentin de Chatelperron ou Alix Deschamps prouvent qu’un autre futur est possible. Le projet d’avion à pédale avec assistance électrique de ce dernier incarne un progrès qui respecte les limites planétaires, où la technologie sublime la nature au lieu de l’épuiser. Une belle illustration du Solar Punk, dont on parlait dans un épisode précédent.
Si nous voulons un 21ᵉ siècle vivable, il est temps de diffuser un imaginaire dans lequel la technologie se développe au service de l’homme et du vivant. Dans ce nouveau récit, ce n’est plus la performance brute qui compte, mais l’expérience, la poésie du vol, la connexion avec le monde. Fini le mythe d’un progrès destructeur, place à une innovation qui respecte les limites planétaires !
Arrivé dernier du Vendée Globe, le lendemain de la fermeture de la ligne d’arrivée, le navigateur belge Denis Van Weynbergh prouve quant à lui qu’il est temps de changer le récit de la performance.
Célébré comme une rockstar, Denis est un héros magnifique dans lequel 99 % des gens peuvent se retrouver : imparfait, humain, parfois absurde. C’est le sens de l’hommage que lui a rendu la Fédération Française de la Lose (FFL) :
« Denis, c’est pas un loser : au contraire, c’est le panache incarné, la résilience, l’aventurier ultime. Il n’a rien lâché alors qu’il était loin derrière tout le monde et qu’il avait une galère par jour. »
Bref, il est temps de changer les récits qui définissent le succès et “la win”. Là-dessus, la FFL fait un excellent boulot en racontant des histoires qui célèbrent les défaites avec humour et romantisme.
Les "winners" traditionnels sont souvent lisses et inaccessibles. Les héros de la FFL, eux, nous rappellent que perdre avec panache peut être aussi mémorable que gagner. En plus, ça fait de meilleures histoires à raconter !
Porter un regard différent sur les femmes à l’écran
Oscar du meilleur scénario original en 2021, Promising Young Woman casse les codes du thriller avec une approche radicale : le “Female Gaze”. Contrairement au “Male Gaze”, qui façonne largement la représentation des femmes en les réduisant à des objets de désir, le Female Gaze place leur expérience et leurs émotions au centre du récit.
Réalisé par Emerald Fennell, Promising Young Woman nous plonge dans la colère et l’impuissance de sa protagoniste, Cassie, plutôt que de nous la faire simplement observer. Le film renverse les codes du genre : les antagonistes ne sont pas des monstres évidents, mais des "gentils gars" ordinaires, ce qui rend le propos encore plus glaçant. Esthétiquement, il détourne le thriller classique en adoptant une palette pastel et une imagerie pop, ce qui renforce le malaise du spectateur… Changer le regard, c’est changer le récit !
Parler des gens biens
Le 28 février, Karim Leklou a décroché le César du Meilleur Acteur pour son rôle dans "Le Roman de Jim". Il en a profité pour remercier les frères Larrieu qui ont réalisé le film : « Merci d’avoir fait cette éloge de la gentillesse. Je voudrais dédier ce César à tous les gens qui encaissent des vies pas faciles et qui gardent en eux de la douceur et de la gentillesse. »
Son discours a été à la hauteur d’Aymeric, le personnage qu’il incarne à l’écran : un homme qui aime sans posséder, qui protège sans écraser, qui avance sans la certitude d’avoir raison. Pas de posture dominante, pas de quête de revanche ou de pouvoir.
Alors que les figures masculines toxiques reviennent en force, que la scène politique mondiale est saturée de leaders qui misent sur l’agressivité et la confrontation, des figures fictives comme celles d'Aymeric et réelles comme celles de Karim nous rappellent ce que c’est que d’être un mec bien. Et ça fait… du bien.
Proposer un nouveau récit européen
Dans un discours historique à Kyiv fin février, la Première ministre danoise Mette Frederiksen a rendu hommage aux Ukrainiens qui nous rappellent tous les jours ce que c’est que se battre pour sa survie et pour son avenir. Ses mots ont résonné comme un appel à ce que l’Europe se raconte enfin une histoire à la hauteur des menaces du moment.
Car aujourd’hui, nous sommes une puissance sans récit. Nous partageons des valeurs, des droits, une citoyenneté commune… Mais sans histoire fédératrice, il n'y a pas de mobilisation, pas de vision, pas de direction. Pendant ce temps, les Empires imposent leur narratif : "America First" aux États-Unis, "civilisation assiégée" en Russie, "patience stratégique" en Chine.
Les mots de Mette Frederiksen sonnent comme une alerte : l’Europe doit se lever, agir et prendre sa place. Elle doit raconter une histoire qui donne envie d’y croire, d’y appartenir et de se battre pour elle. Surtout, ce récit doit incarner la vision d’un futur positif, ambitieux et réalisable. Qui s’y colle ?!
Redéfinir le bonheur
Les choses qui nous touchent vraiment et qui nous rendent profondément heureux sont celles qui ne sont pas disponibles : celles qui ne peuvent pas être contrôlées ou produites à volonté.
C’est ce que démontre le sociologue Hartmut Rosa, qui alerte sur nos modes de vie de plus en plus tournés vers le contrôle et l’optimisation du quotidien (voir le post pour plus de détails).
Alors, comment utiliser le pouvoir des histoires pour encourager ce qu’il appelle la résonance et qui donne du sens à notre existence ? Je vois au moins 3 pistes :
👉 Raconter des histoires qui ne nous poussent pas à consommer, mais à ressentir. Le roman “Dans la forêt” de Jean Hegland raconte par exemple l'histoire de deux sœurs qui survivent dans une forêt après l'effondrement de la civilisation. Il met l'accent sur la reconnexion avec la nature et l'apprentissage de nouvelles compétences, plutôt que sur la consommation.
👉 Créer des héros qui ne sont pas juste dans l’action, mais dans la connexion au monde. Le véritable héroïsme de Frodo dans “Le Seigneur des Anneaux” réside par exemple dans sa compassion, son empathie et sa capacité à résister à la corruption de l'Anneau grâce à ses liens d'amitié et son amour pour la Comté.
👉 Raconter des histoires qui encouragent à considérer l’imprévu comme une source d’opportunité plutôt que d’adversité. La découverte de la pénicilline est un super exemple : une contamination accidentelle qui a mené à l’une des plus grandes découvertes médicales du XXe siècle et qui a sauvé des millions de vies.
Changer le monde en récoltant des Oscars
Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de Jeffrey Skoll et vous vous en portez probablement très bien. Pourtant, ce type gagne à être connu : premier salarié d’Ebay, il en est devenu le président avant de gagner beaucoup d’argent lors de la revente de l’entreprise.
Il aurait pu se contenter de sa fortune, mais il avait un autre plan : changer le monde avec des histoires. En 2004, il crée Participant Media, une société de production dédiée au divertissement engagé. Résultat ? 135 films, 21 Oscars, des millions de spectateurs sensibilisés et des sujets cruciaux mis en lumière avec notamment Une vérité qui dérange, Citizenfour, Spotlight ou Green Book.
Mais en 2024, après une série d’erreurs stratégiques, Participant Media a fermé ses portes. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de récits puissants, à l’intersection de l’art, de l’activisme et du divertissement grand public. L’Histoire s’écrit sous nos yeux : soit nous la subissons, soit nous la racontons. Bref, il faut un nouveau Participant Media. Et si c’était Geronimo Studio ?
Bonus : un conseil shopping
Des milliers de personnes disent bye-bye à leur Tesla à travers le monde. L’une d’entre elles en a profité pour laisser un petit message visible depuis l’espace !
Merci d’avoir lu jusqu’au bout
Avant de se quitter, j’aimerais savoir deux choses.
Pour ceux qui sont encore là, je me pose pas mal de questions en ce moment sur le levier le plus puissant à utiliser pour écrire et diffuser à grande échelle le type de narratifs qu’on vient d’évoquer.
Aujourd’hui j’écris un long métrage, je crée des scénarios d’anticipation pour des boîtes qui veulent se projeter dans le futur, je partage des idées dans cette newsletter… Et j’ai vraiment l’impression que je ne suis pas à la hauteur de l’urgence et de l’importance des enjeux.
J’en viens à la question qui m’obsède en ce moment : quel serait selon vous le meilleur moyen de faire de Geronimo un outil de propagande optimiste, ambitieuse et réaliste à la mesure de son époque ?
Si vous avez des propositions de réponse, n’hésitez pas à me les partager.
Merci et à très vite,
De mon point de vue les nouveaux récits ne portent leurs fruits que s’ils sont partagés, débattus et qu’ils mènent à l’action.
L’idée de rencontres autour d’œuvres (livres, films, art…) qui s’inscrivent dans cette nouvelle dynamique est quelque chose qui m’anime actuellement et qui pourrait avoir du sens pour ta communauté.
J’y pense tout le temps à cette chanson. Je me sens moins seule