Brad Pitt vs. Adam Smith
S01E02 - Notre système économique bouffe la Terre et ses habitants. Bonne nouvelle : les histoires peuvent changer tout ça. Démonstration en 4 exemples.
Salut à tous,
Merci pour vos retours sur la première édition de GERONIMO et bienvenue à ceux qui nous ont rejoints depuis.
J’ai réalisé récemment que dans ma bulle d’informations, la fin du capitalisme n’était plus vraiment un sujet tabou.
J’en ai parlé à quelques personnes autour de moi. Derrière la gêne, la froideur ou la surprise que j’ai ressenties chez certaines, il y avait à chaque fois la même question : « par quoi veux-tu qu’on le remplace ? ».
Effectivement, il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme : c’est le sujet de la newsletter d’aujourd’hui.
Je veux commencer par rebondir sur deux déclarations faites récemment par l’auteur Alain Damasio :
« L’imaginaire capitaliste est en train de devenir ringard, il se fissure de partout. »
« Je pense qu’il faut construire des alternatives, proposer d’autres façons d’exister, de s’alimenter, d’habiter. Puis de montrer que ça marche et surtout que ça nous rend heureux et libre. Il faut battre le capitalisme sur le terrain du désir. »
C’est ce qu’il s’efforce de faire dans ses livres, en utilisant la science-fiction et la philosophie pour questionner nos modes de vie, nos structures politiques et nos interactions (La Horde du contrevent, les Furtifs, la Zone du dehors).
Est-ce que Damasio est le seul à raconter ce genre d’histoires ? Sûrement pas !
Des auteurs moins engagés et moins clivants s’attaquent au même chantier, celui de la sortie du capitalisme et surtout de la construction de ce qui pourrait le remplacer.
Leurs histoires sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine : je vous propose de zoomer sur 4 d’entre elles, après avoir pris 2 minutes pour rappeler ce qu’il y a derrière le mot du jour.
Au programme :
Petite piqûre de rappel
Quand Hollywood s’attaque au capitalisme
Quand les Frenchies proposent des alternatives
1. Petite piqûre de rappel
Si vous êtes au clair sur le capitalisme et ses conséquences, passez directement à la deuxième partie ! Si vous n’êtes pas contre un petit récap, c’est parti :
Le capitalisme est le système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et leur exploitation pour le profit.
Les éléments clés de ce système incluent : 1) le libre marché où la loi de l'offre et de la demande détermine les prix 2) la concurrence, qui pousse à l'innovation et à l'amélioration des produits et services.
Ce système économique façonne nos sociétés de multiples façons, à tel point que quand on essaie d’imaginer sa fin, un seul mot vient à l’esprit : “effondrement”.
Et pourquoi pas “renouveau” ou “renaissance” ?! Sans doute parce que la lutte avec l’adversaire historique du capitalisme - le communisme - a laissé quelques traces.
Mais surtout parce que l’immense majorité d’entre nous n’a aucune idée de ce à quoi ça pourrait bien ressembler.
Quoi qu’il arrive dans les décennies à venir, le bilan du capitalisme laissera lui aussi quelques traces.
D’immenses bénéfices
A priori, vous lisez cette newsletter sur un écran magique qui vous permet d’accéder à de l’info et du divertissement sans limites.
Vous ne vous demandez pas trop comment vous allez nourrir votre famille dans les prochains mois et en cas de pépin vous pouvez compter sur de supers services de santé pour vous sortir d’affaire.
Ces bénéfices vous les devez - entre autres - au capitalisme, moteur incontournable de l’innovation et du progrès technologique. Depuis son apparition, les pays qui l’ont adopté ont connu une amélioration extraordinaire de leurs standards de vie.
Grâce à la concurrence et à la recherche du profit, des investissements massifs ont été réalisés dans des secteurs clés comme la médecine, l’éducation, l'agriculture, pour ne citer qu’eux.
Ces avancées ont contribué à une immense croissance économique, réduisant les niveaux de pauvreté dans pas mal de régions du monde. Mais à quel prix ?
D’immenses ravages
Environnementaux : le premier prix, c’est la planète qui le paie.
Il existe 9 seuils écologiques que la Terre ne doit pas atteindre pour pouvoir se régénérer et continuer à offrir des conditions favorables à notre existence : on appelle ça les limites planétaires.
En visant la croissance économique continue et la maximisation des profits à court terme, le capitalisme nous a directement mené à dépasser 6 d’entre elles.
Changement climatique, destruction de la biodiversité, artificialisation des sols, surexploitation des ressources naturelles : quelle que soit la conséquence, la cause se trouve dans l’un des piliers du capitalisme.
Sociaux : le deuxième prix est payé par les plus défavorisés d’entre nous.
Par nature, les bénéfices du capitalisme ne sont pas répartis également. Le système favorise donc une distribution inégale des richesses et creuse l’écart entre les riches et les pauvres.
Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty est probablement l'un des ouvrages les plus célèbres et les plus détaillés sur le sujet.
Humains : le dernier tarif est pour tout le monde.
Le capitalisme ne rend pas heureux : il crée du désir, il crée du plaisir mais il ne crée pas de bonheur !
En nous réduisant à des acteurs économiques, il crée une culture individualiste et consumériste qui va à l’encontre de nos besoins fondamentaux de connexion et de solidarité.
Sur le sujet, je vous recommande la lecture de cet article captivant de Carl Cederström dans lequel le chercheur suédois décrit « comment le capitalisme nous fait sentir complètement vide ».
Bref, il est temps de passer à autre chose
La difficulté, c’est qu’il faut 1) déterminer la direction à prendre et 2) se mettre en chemin collectivement.
J’en suis persuadé : pour que ce changement de paradigme ait lieu sans guerre civile ni dictature, s’appuyer sur le pouvoir des histoires est un levier incroyablement efficace.
Je ne crois pas à UNE grande histoire qui viendra tout changer du jour au lendemain : je crois plutôt à des multitudes d’histoires sous des multitudes de formes : fictions, documentaires, publicité, discours politique, articles de presse etc.
Ces histoires doivent s’appuyer sur au moins l’un des deux leviers suivants : ringardiser le capitalisme ; créer du désir pour les alternatives. Le deuxième est encore plus puissant que le premier.
Ce type d’histoires existe déjà : décortiquons ensemble 4 exemples et surtout, voyons quels sont les ingrédients qu’on peut utiliser pour en écrire des milliers d’autres.
2. Quand Hollywood dézingue le capitalisme
Une grosse partie du combat se joue aujourd’hui du côté de la norme sociale. Tant que ceux qui accumulent des richesses personnelles sur le dos des autres et de la planète auront l’air plus cool que ceux qui cherchent à préserver le vivant ou combattre les inégalités, le statu quo sera maintenu.
En gros, finito les histoires du type Wolf of Wall Street, The Social Network et The Founder !
Malgré des personnages complexes, les héros de ces 3 films (et d’un paquet d’autres) incarnent complètement le panache, la démesure et l’ambition du rêve américain dans toute sa splendeur… et donnent au fond pas mal envie de les imiter.
Pour passer à autre chose, on a besoin que le capitalisme et l’American way of life soient incarnés par de bons gros loosers, ou racontés à travers ceux qui le combattent ou le ridiculisent. Et paradoxalement là-dessus, Hollywood mène la danse !
Fight Club
Résumé sans spoiler
Ce film mythique sorti en 1999 raconte l’histoire d’un employé de bureau dépressif et insomniaque joué par Edward Norton, qui habite dans un bel appart à Manhattan.
Sa vie va changer avec la rencontre de Tyler Durden (Brad Pitt), un vendeur de savons particulièrement charismatique. Ensemble, ils vont créer un club de combat clandestin qu’ils vont peu à peu transformer en un mouvement radicalement anti-capitaliste.
Pourquoi c’est un bon exemple
Clairement, la virtuosité du film pour critiquer et ridiculiser le capitalisme se joue dans le parcours du personnage principal. De victime à révolutionnaire, sa transformation au contact du truculent Tyler Durden ne laisse personne indifférent.
Le film illustre la vacuité de la représentation du bonheur que propose le capitalisme, notamment la nécessité d’avoir “un bon job” pour se payer les désirs créés par la publicité. Accumulation d’objets, manque de sens, dépression : l’illustration est assez claire.
Ce qui est particulièrement intéressant car provocateur, c’est l’introduction de la violence comme voie d’affranchissement et de reprise en main de son existence par le héros. Le réalisateur David Fincher réussit à nous communiquer l’aspect jubilatoire de cette voie tout en montrant les limites de celle-ci… Du génie !
Succession
En bref
Acclamée de partout, cette série dramatique raconte l’histoire de la famille Roy, dirigée par Logan, magnat impitoyable des médias qui fait furieusement penser à Rupert Murdoch.
Alors que la santé du patriarche décline, ses enfants et quelques pièces rapportées se livrent une lutte féroce pour prendre le contrôle de l’empire. Les quatre saisons révèlent des jeux de pouvoir impitoyables et surtout des dynamiques familiales affreusement toxiques.
Pourquoi c’est un bon exemple
Gangrénés par l'argent et la quête de pouvoir, les personnages sont plus abominables, minables, ridicules les uns que les autres et pourtant… on ne peut pas s’empêcher de s’attacher à eux. Les personnages de Kendall, Tom et Roman sont des chefs-d’œuvres d’écriture, tant on aime les détester et on déteste les aimer.
La série met en lumière comment l’influence du dollar aliène les personnages et ravage les relations familiales, transformant l'amour et le lien de parenté en outils pour la manipulation et le gain personnel.
À travers l’histoire des Roy, son auteur Jesse Armstrong fait un portrait au vitriol d'une élite qui, malgré sa richesse et son pouvoir, est constamment en proie à l'insatisfaction, la paranoïa, l'isolement… et c’est jouissif !
3. Quand les Frenchies proposent des alternatives
De manière consciente ou non, le capitalisme est une religion pour la plupart d’entre nous, et a priori personne n’aime qu’on critique les principes qui guident sa vie quotidienne.
La meilleure solution pour faire changer quelqu’un de paroisse, ce n’est donc sûrement pas de lui dire que ses croyances sont ridicules… c’est de lui montrer qu’il y a de la lumière ailleurs.
C’est un levier très puissant mais encore trop peu utilisé ! Voyons deux exemples made in France que j’aime particulièrement.
La Belle Verte
Cette comédie réalisée en 1996 par Coline Serreau (La Crise, Trois hommes et un couffin) est elle aussi une critique géniale du système économique dans lequel on vit.
Mais elle ne s’arrête pas là, c’est ce qui en fait selon moi l’un des films les plus sous-côtés du cinéma français.
Pour la faire courte
C’est l’histoire de Mila, habitante de la Belle Verte, une planète lointaine sur laquelle vit une civilisation évoluée et égalitaire qui vit en parfaite harmonie avec la nature.
Mila est envoyée sur Terre pour observer et influencer discrètement les comportements de ses habitants. Elle découvre une société consumériste, polluée et aliénée, où les gens sont déconnectés d’eux-même, des autres et de la nature.
En se fondant peu à peu parmi les humains (notamment un Vincent Lindon dans l’un de ses meilleurs rôles), Mila va tenter de semer les graines d’un changement vers un mode de vie plus simple, plus sain et plus connecté aux autres et à la nature.
Pourquoi c’est un film important
Parce qu’il présente de vraies alternatives ! Le mode de vie sur la planète de Mila valorise la simplicité, l’autosuffisance et l’harmonie avec le vivant… ce qui rend ses habitants profondément heureux.
Mais le génie de Coline Serreau, c’est surtout d’avoir exploité à fond deux archétypes avec le personnage de Mila (qu’elle interprète).
→ Fish out of the water : ce terme désigne un protagoniste qui se retrouve dans un environnement qui lui est totalement étranger, où il ne se sent pas à sa place.
Comme avec Anna Athaway dans Le diable s’habille en Prada, ça crée souvent des situations comiques ou des conflits sur la façon dont ce personnage s’adapte (ou pas) à ce nouvel univers.
Clairement, la découverte de Paris par Mila vaut son pesant de cacahuètes et permet de mettre en valeur certaines absurdités de notre mode de vie.
→ Traveling angel : c’est typiquement Driss, joué par Omar Sy dans Intouchable. Ce type de personnage change la vie des autres en leur apportant de la joie, de la sagesse, du style ou de l’originalité.
Ils sont forcément un peu en conflit avec l’environnement dans lequel ils débarquent mais leur rôle est plus centré sur l’effet qu’ils ont sur les autres protagonistes.
Dans La Belle Verte, la transformation de Vincent Lindon et de sa famille grâce à Mila est l’arc narratif le plus important du film ! En s’identifiant à eux, on réalise qu’on aspire nous aussi au mode de vie incarné par Mila.
Paresse pour tous
Pour résumer
Dans ce roman que j’ai A-DO-RÉ, on suit Émilien Long, prix Nobel d’économie qui se lance dans une campagne présidentielle exceptionnelle.
Son ambition, entouré d’une équipe brillante et improbable : révolutionner la société en proposant aux Français… de ne travailler plus que trois heures par jour.
Érudit et drôle, l’auteur Hadrien Klent explore les impacts qu’aurait un tel changement : la valorisation des personnes plutôt que des profits, moins de consommation, plus de temps, une meilleure santé physique et mentale, plus d’activités qui favorisent le lien communautaire, une répartition plus juste des ressources… Sans parler des bienfaits écologiques de tout ça !
Pourquoi il faut le lire
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce bouquin, c’est le réalisme de l’arène, des développements et des dialogues.
Le tout accompagné des ingrédients qui font une bonne histoire : des personnages complexes et attachants, du conflit, des révélations, des rebondissements et des obstacles. Un vrai programme politique enrobé de dramaturgie !
En le refermant, j’avais pour la première fois une image assez claire du type de société dans laquelle je rêverais que mes gamins grandissent.
Voilà un bouquin à mettre dans les mains de tous nos copains qui bossent en politique : il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas le droit à notre Émilien(ne) Long en 2027.
SPOILER ALERT - Sachez qu’il y a une suite qui raconte… le mandat d’Émilien à l’Elysée. Ça s’appelle La vie est à nous et c’est sur ma liste de lecture des prochaines semaines.
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’avoir lu jusqu’au bout ! On se retrouve dans deux semaines. D’ici là, n’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce deuxième épisode.
Si vous avez autour de vous des personnes dont le métier est de raconter des histoires, n’hésitez pas à leur transférer cette news. Qu’ils travaillent dans la publicité, la fiction, la communication, le documentaire, le jeu vidéo, les médias : embarquez-les avec nous ! Directement par e-mail, ou Whatsapp / SMS ici 👇
Thibaut
Merci, j'ai plongé dans "Paresse pour tous" que je dévore, et multiplié par 100 mon amour pour Alain Damasio ! Et puis je suis touchée de me sentir moins seule devant mon désir de récit(s). Est-ce que tu connais Jeanne Hénin et son ouvrage "Les mots qu'il nous faut" (Edition La mer Salée, de Sandrine Roudaut) ? (https://www.lamersalee.com/les-livres/les-mots-qu-il-nous-faut)
top, belles refs...manque plus que T Veblen ;) https://www.mouvementpourundeveloppementhumain.fr/nos-fondements-theoriques/le-travail-et-la-consommation-les-piliers-de-lordre-social/la-consommation-le-pilier-de-lordre-social/je-consomme-donc-je-suis/se-distinguer-par-sa-consommation/